L'Esperluette
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La minute philo du week-end : fable du pont et de la haie
Il arrive parfois ...
dans des contrées lointaines de l'Ancien monde, que les petites filles détruisent les ogres.
Si dans la canopée des grands immeubles des centres urbains, elles savent désormais comment escoffier les loups, elles peuvent remercier leur frangine à la cape rouge . Mais que n'ont-elles oublié en chemin les deux belles endormies , que sont Blanche - Neige et l'Aurore du bois dormant ?
Chaussons nos bottes de sept lieues pour arpenter l'histoire , libérer la Belle et confronter la Bête !
Dans une de ces contrées fort fort lointaines, sévissait il y a fort fort longtemps un mal étrange, qui avait rendu stérile la plupart de ses habitants. Quand intervint la nouvelle d'une naissance gémellaire au château, ce fut la fête dans tout le royaume. Les fées et tous les esprits bienveillants se précipitèrent pour combler de présents les heureux parents et parer de tous les dons les princesses, qu'on prénomma Aurore et Blanche, dans l'espoir d'une nouvelle ère . Le teint clair, la bouche vermeille, l'esprit vif, les sens aiguisés, la connaissance de tous les arts ... il ne manquait rien à ces petits êtres , que les outils pour se défendre , qu'Epiméthée, dans sa grande distraction , avait déjà distribué aux animaux ; alors l'Esprit de la Forêt leur envoya l'Espérance et l'Empathie !
Les deux enfants vécurent une enfance choyée, mais très vite leur soif de connaissances et leur esprit d'aventure se cognèrent à l'espace confiné du château . Un beau matin, profitant de la distraction des gardes , les deux fillettes se faufilèrent hors les murs de la forteresse et prirent la direction de la forêt, comme attirées par cet espace foisonnant, bruissant de mille parfums. Leurs souliers n'eurent pas le temps de prendre la poussière du chemin, que déjà un obstacle se dressait devant elles : une belle haie, dense et fournie , qui marquait les limites de la propriété. La ronce ramena les fillettes à la raison ; la blancheur immaculée de leurs tenues ne saurait souffrir un tel opprobre.
Elles restèrent donc à bonne distance et se promirent d'apprendre en observant . La timidité du hérisson, la conversation du grillon, la naïveté du mouton, la maladresse du chardon, l'audace du lierre, l'arrogance du chèvrefeuille, mais aussi le travail des abeilles, la discipline des fourmis, la grâce des libellules ... Les jours , les mois, les années s'écoulèrent , la haie leur était devenue si familière qu'elles n'eurent aucune appréhension lorsque le jour de leur quinze ans , des Don Juan de pacotille, baguenaudant sur le chemin, derrière la haie, les hélèrent : elles étaient si fraîches, si appétissantes, pour un peu ils les auraient cueillies avec les mûres ...
Dans les contes de notre enfance, ce sont de vieilles femmes , qui tendent à Blanche la pomme empoisonnée et à Aurore, la quenouille, qui les plongeront dans un profond sommeil . Mais n'est-il pas temps que les lapins se fassent historiens ?
Malgré leur parfum de stupre et de benjoin mêlés, leurs lauriers poussiéreux, leurs voix mielleuses et fielleuses, les Prométhée d'opérette avaient allumés dans les yeux des jeunes filles des rêves de fêtes foraines . Blanche saisit la pomme d'amour qu'on lui tendit, Aurore la quenouille qui brodait de si belles paroles puis soudain ,sidérées, tombèrent dans un mutisme profond entre le Styx et l'Achéron ... Et de l'autre côté de la haie, c'est le monde entier qui ferma les yeux !
L'histoire bien souvent s'arrête là , mais les temps changent ...
Blanche et Aurore avaient , sans le savoir, conduit leur petite sœur, Judith , au cœur même de la haie. La gamine , n'écoutant que son courage, déroba le feu sacré aux ogres, trancha la gorge d'Holopherne et rendit la parole à ses sœurs afin qu'ensemble, elles puissent bâtir des ponts : il était temps de sortir de l' Enfer !
Moralité : Méfiez vous toujours des petites filles !
