L'histoire de Judith et Holopherne est tirée du Livre de Judith, qui fait partie de l'Ancien Testament. Cet épisode, qui célèbre les vertus de courage et de chasteté d'une femme héroïque, fut longtemps interprété comme le triomphe de l'Église sur l'hérésie.

Riche et belle veuve de Béthulie , Judith s'engage à sauver sa ville assiégée par les troupes assyriennes. Elle se rend dans le camp ennemi et séduit celui qui le dirige, le général Holopherne, qu'elle enivre lors d'un festin. Le soldat sombre dans l'ivresse et s'endort. Judith le décapite alors, emporte sa tête et la suspend aux murailles de la ville. Effrayés, les soldats abandonnent le siège et se retirent. La ville est libérée du tiran .

       Artemisia Gentileschi, fille aînée du peintre caravagesque Orazio Gentileschi, fait son apprentissage à Rome auprès du maître ; son remarquable talent lui procure très tôt un succès mérité auprès des Médicis , de Rome à Florence et jusqu'à la cour d'Angleterre . Comme Le Caravage, Artemisia Gentileschi aime à s'écarter des conventions, elle s'attaque ici au grand genre de la peinture d'histoire, traitant de sujets mythologiques ou bibliques, habituellement réservés aux hommes.  Mais c'est aussi parce que le sujet de Judith et Holopherne lui permet une vengeance symbolique qu'il nous intéresse aujourd'hui !

En 1611, le père d'Artemisia dépose plainte pour viol contre Agostino Tassi, professeur particulier de perspective d'Artemisia ; s'ensuit un terrible procès lors duquel on torture la jeune artiste de 17 ans pour s'assurer qu'elle ne ment pas et à l'issue duquel son violeur est condamné à un an de prison. Sur le tableau, l'artiste renverse le traumatisme vécu en donnant ses propres traits à Judith et ceux de son violeur à Holopherne. Allant à l'encontre de ce que l'époque tolère chez une femme peintre, elle pousse le réalisme à représenter la profusion du sang qui gicle sur les draps blancs , jusqu'à la goutte qui coule à la pointe de l'épée, véritable allégorie de sa défloration . Alors que 80% des nus de l'histoire de l'art sont féminins, elle représente ici un homme nu et des femmes habillées ... L'épée de Judith plongée dans la gorge de son agresseur est une arme phallique, qui vise à renverser le traumatisme , dans un puissant jeu chromatique entre ombre et lumière.

L'histoire de cette Judith / Artemisia rencontre quelque écho dans l'actualité médiatique de ce jour, où une autre Judith occupe le devant de la scène, pour dénoncer non seulement ses agresseurs , mais également permettre que des voix se libèrent et remettent en cause les dysfonctionnements de nos sociétés à l'égard des femmes et des enfants.