Le titre de cet article est emprunté de l'ouvrage du philosophe contemporain Hartmut Rosa . Vous vous demandez sans doute comment se compliquer un peu plus la vie en rendant le monde indisponible peut nous rendre la joie de vivre et balayer le blues du lundi . C'est là toute la magie de la philosophie !

Avant tout , il faut remonter aux origines du problème , si problème il y a ... ,  et considérer qu'une fois que le problème est posé, il est déjà en partie résolu . La philosophie s'avère alors d'une efficacité redoutable :  Hartmut Rosa veut démontrer que "l'indisponibilité constitue la vie humaine et l'expérience humaine fondamentale" ; or, le blues du lundi , et plus particulièrement celui qui nous préoccupe aujourd'hui, se manifeste par une lassitude de l'existence, pour ne pas dire une vacuité de son intérêt.

Alors, si vous êtes au rendez-vous de notre publication, peut-être allez-vous me suivre dans un petit jeu  ...

Prenez une feuille blanche et de quoi écrire, puis notez les choses qui vous ennuient au fur et à mesure que vous y réfléchissez, de la plus petite contrariété à la question la plus existentielle . Ensuite, pour chaque , posez-vous trois questions :  1) en quoi est-ce un problème ?

2) comment puis-je le résoudre ?

3) serais je plus heureux si je n'avais pas ce problème ?  ou En quoi cette situation m'oblige t-elle ?

On va prendre des exemples , dans des conversations ou des échanges entendus de ci-delà depuis la rentrée.

* "On est le 15 du mois, y'a plus rien dans le frigo,  il va bien falloir que j'aille faire des courses."

→ problème ? - Je n'aime pas perdre mon temps dans les grandes surfaces et je n'ai pas le temps de faire le tour des commerçants de mon quartier

→solutions ? - je fais mes courses en ligne, je passe les prendre en sortant du travail, ou je fais livrer

→ problème ? - mon budget est limité

→ solutions ? - le primeur a sans doute quelques invendus un peu fripés, un peu moches qu'il me soldera en fin de journée, un peu d'imagination et j'ai sûrement de quoi accommoder une soupe, un gratin vite faits . Pas de gaspillage. Et s'il me manque un truc, j'ai forcément autour de moi un ami, un voisin, un parent qui peut me dépanner .

→ Qu'est-ce que cette situation me dit ? La société de consommation a permis ta déconnection d'avec le monde réel en te le rendant accessible partout , tout le temps ; envie de tomates, d'avocats , de fraises en dehors des saisons ... pas de problème , tu peux trouver ça si t'en as envie et les moyens ; envie de viande, de poisson, plus besoin d'aller à la chasse  ou à la pêche, tu ne risques plus de rentrer bredouille ; pas envie de cuisiner, on se fait livrer ; pas d'idée pour accommoder ce qui reste dans les fonds de placards, on trouve une application sur le téléphone ... Mais quelle est la valeur nutritionnelle des choses que tu mets dans ton assiette ? Quelle valeur accordes -tu aux choses que tu consommes ? Te souviendras-tu dans une semaine de cette recette trouvée  en ligne ? Quel goût a ta tomate poussée hors sol et sans soleil ? As-tu le moindre scrupule à te faire livrer une pizza par un jeune précaire dans la pluie, le vent , le froid ? Penses -tu aux doigts brûlés de ces femmes de l'autre bout du monde quand tu mets sur la table des noix de cajou ? Imagines-tu cette famille péruvienne, qui n'a même plus le droit de manger sa récolte,  quand tu dégustes ta salade de quinoa ?  Connais-tu tes voisins ? Irais-tu leur emprunter des pâtes ? ...

Non, rendre le monde indisponible ne veut pas dire retourner dans les cavernes et abandonner ce que le confort moderne nous procure : rendre le monde indisponible est une nécessité ontologique pour retrouver le goût des choses, la saveur de l'existence.

* "J'aime pas le mois de janvier, ça me déprime toute cette grisaille !"

→ problème ? On a un manque de soleil

→ solutions ? - partir au soleil, hors vacances scolaires on peut trouver des billets d'avion à petit prix pour des séjours tout compris vers des destinations peu coûteuses.

    - déménager, la misère est moins pénible au soleil

    - installer une lampe de luminothérapie

→Etre né dans un pays "riche" nous donne le sentiment que le monde nous appartient : on peut aller partout , on est des touristes pas des migrants, cependant la grisaille ne nous donne pas encore le statut de réfugié climatique , ça viendra , ne désespérons pas ! Le monde est aujourd'hui tellement disponible  qu'il génère forcément frustration et aliénation : il nous faut des assurances, des agences de voyage, des stades climatisés, des pistes de ski dans le désert ,etc. "Pourvu qu'il ne nous arrive rien !" comme cette personne , qui voulait partir en Laponie , mais voulait être sûre de voir des aurores boréales, de faire des activités de plein air 12h par jour ( quand les nuits durent environ 20h à cette période) et de ne pas souffrir du froid ... Quel voyage  authentique peut-on faire avec une telle approche de l'existence ?

 Si tu n'aimes pas la grisaille du mois de janvier , tu n'es pas obligé de te sentir frustré , déprimé parce que le soleil ne t'est pas immédiatement accessible  ou parce qu'il ne neige plus suffisamment pour tes sports d'hiver, la météorologie n'est pas encore une science exacte, qui fait la pluie et le beau temps, même si ça aussi ça viendra ! Si le monde reste encore un peu indisponible, peut-être auras-tu la chance de goûter aux charmes des saisons, d'entendre et de résonner du chant du monde ...

* Que ce soit le travail, la météo , l'amour , le lundi matin , tout peut te sembler vide de sens et d'intérêt pour peu que tu les considères , comme acquis  ou assurément accessibles ; tu te sens comme un hamster dans sa roue, condamné à pédaler sans but, une machine assistée par d'autres machines dans un petit monde bien huilé ; tu t'ennuies, tu es frustré, blasé , fatigué .  Pourtant si ce matin là il neige, que l'imprévu entre dans ta routine et fait tout dérailler, si les communications ne passent plus, si ton pas glisse sur la chaussée , donne sa chance au flocon , rends toi le monde indisponible et le blues s'envolera !