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Elle allume des étoiles dans les yeux des enfants et si elle blanchit les cheveux des Anciens , elle semble venir en amie nous dire : "Ralentis ! Prends soin de toi ! Profite de l'instant présent ! Déconnecte ! Résonne du chant du monde ! Tu ne peux tout contrôler".
Comme une gourmandise , elle saupoudre notre quotidien de son voile immaculé, sublime les tristes branchages en y accrochant des perles de nuage, piège la modernité bruyante, se glisse - fantomatique - entre les grincements du monde, se rie de nos glissades, se dérobe à la main du cueilleur, efface les pas du marcheur ...
Elle est pour le philosophe Hartmut Rosa "littéralement la forme pure de l'indisponible", parce qu'elle nous rappelle que le monde contemporain , à force de vouloir rendre le monde disponible, nous prive de l'expérience de la vitalité et de la rencontre - ce qui permet la "résonnance" - ."Du jeu à l'amour et de la neige à la mort : l'indisponibilité constitue la vie humaine et l'expérience humaine fondamentale" ...
Ces minuscules chefs-d'œuvre que sont les flocons de neige prennent naissance dans l'air froid et humide des nuages . Des gouttelettes d'eau se déposent sur de minuscules grains de poussière, forment des billes de glace , jusqu'au moment où de la sphère poussent six bras, dans une symétrie hexagonale correspondant à l'angle entre les atomes de la molécule d'eau . Plus l'air est froid, plus le flocon sera ciselé, présentera des aiguilles fines et amplement ramifiées ; inversement, plus l'air sera doux , plus le flocon sera dodu avec des branches larges et moins nombreuses. Ce que le physicien Adrian Bejan explique en faisant l'analogie avec les feuilles des arbres : en Norvège par exemple , où l'air est sec et le vent très fort, les arbres n'ont besoin que de petites feuilles, voire des aiguilles, pour évacuer l'eau, alors que dans les forêts équatoriales, où il n'y a pas de vent mais beaucoup d'eau à relâcher , les feuilles sont larges et plates. En théorie, les flocons devraient donc tous être identiques puisqu'ils ont la même architecture mais il n'en est rien ... On dit même que chaque flocon est unique !
Soumis au mouvement , à la turbulence du vent, aux variations de température , chaque flocon - un peu comme chaque être humain - devient unique en se cognant aux autres, en fusionnant avec certains , en virevoltant jusqu'à redevenir poussière et eau.
« Le flocon de neige met en lumière l’évolution de tout ce qui bouge », y compris la circulation de l’air dans les voies aériennes, les bronches et les poumons ; la circulation du sang dans les artères, les capillaires et les veines ; la circulation automobile dans les rues de la ville. « La tendance observée sur le flocon de neige est universelle », conclut Adrian Bejan. Si certains étaient tentés de voir dans le flocon un objet fractal, le physicien répond : "Il n’y a pas de design fractal dans la nature. Il a toutefois une géométrie qui suggère le début de la genèse d’un objet fractal, mais les flocons fractals avec un nombre infini de ramifications n’existent dans notre monde ».
La physique et ses lois rejoignent une fois encore la philosophie et une certaine vision taoïste du monde : une histoire de vent et d'eau , où il est question de la nécessaire indisponibilité du monde pour qu'il y ait de la vie !
Mieux que les Inuits , les Ecossais possèdent dans leur dialecte régional - le scots - 421 mots différents pour désigner ce que nous nommons communément NEIGE.
La forme littéraire la plus adaptée pour parler de la neige est sans doute le Haïku , ce poème d'origine japonaise, extrêmement bref, destiné à célébrer l'évanescence des choses .
Cependant , en Occident , bon nombre de romans, très souvent avec une intrigue policière, contiennent le mot Neige dans leurs titres . Sans doute y a t-il inconsciemment dans l'esprit des auteurs l'image d'un espace vierge, souillé par la monstruosité des hommes, et l'envie de faire la lumière sur une affaire pour rendre le monde meilleur, restaurer l'innocence ; une sorte d'hybridation singulière entre les contes de l'enfance et le mythe de Thésée et du Minotaure.
Cela m'amène à vous parler d'une autre Neige , primée par le Goncourt des lycéens, pour son Triste Tigre , Neige Sinno . Un nom , qui ressemble à un pseudonyme : cette Neige là a elle aussi été souillée, du genre de salissures qui n'autorise plus la légèreté et l'évanescence du flocon, même si elle dit non au péché (sin no*en anglais) , elle se retrouve dans l'impossibilité de dire Non (sin no* en espagnol) à son agresseur ... Son Minotaure est en prison , il a avoué, elle a beau resuivre le fil , rien ne la libère , pas même les mots.
D'après des estimations de victimologie, réalisées par l'Union Européenne, six millions de Français ont été victimes d'inceste, soit une personne sur dix ; 96% des agresseurs sont des hommes, 8 victimes sur 10 sont des femmes, un enfant meurt tous les 5 jours dans son environnement familial sous l'effet de ces violences sexuelles, 160 000 enfants sont victimes d'inceste chaque année ... Il serait temps de prendre en compte l'ampleur du cataclysme !
Si la parole se libère depuis le #metoo, le #noustoutes , combien de Neige faudra t-il encore avant que cette culture de l'inceste, du viol, véritable socle du patriarcat, ne disparaisse ?
Sans une révision complète de nos schémas de pensée, nos modèles, nos icônes , notre rapport au monde, comment peut-on espérer encore voir danser les flocons ?
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